Ils se sont donné le mot. Ces temps-ci, tous dressent le même portrait de Dominique Costagliola, épidémiologiste, spécialiste du sida, et depuis le printemps visage familier des médias sur le Covid-19. Pêle-mêle : «Dominique est cash», «Dominique est une très bonne professionnelle», ou encore : «Dominique est libre dans sa tête». Preuve de cet unanimisme, le professeur Jean-François Delfraissy synthétise : «C’est une femme de caractère et une scientifique extrêmement solide.» Et on pourrait rajouter, pour avoir relu la plupart de ses déclarations depuis six mois, qu’elle s’est très peu trompée, mêlant analyses documentées et prévisions mesurées. «Je ne parle que de ce que je connais», dit-elle.

Cash, donc. Oui, sans l’ombre d’un doute. Quand on l’interroge sur les politiques, cela peut tomber dru. «Leur rôle n’est, certes, pas facile, je ne les critique pas trop. Sauf Blanquer. Il ne dit que des bêtises, il répète qu’il ne se passe rien à l’école. Idiotie.» Bien sûr, elle a des propos carrés sur son meilleur ennemi, Didier Raoult : «Quand il parle d’épidémiologie ou de clinique, il n’y connaît rien. Ses données sont nulles.» Les laboratoires pharmaceutiques ? «Oui, j’ai des liens, et c’est voulu et déclaré. Cela me permet de faire des études. Et cela ne m’empêche pas de leur dire ce que je pense.» Et de citer un dernier exemple : «J’étais au board de Gilead. Lorsqu’à une réunion nous n’avons parlé que du produit de leur concurrent, j’ai dit ça suffit et j’ai tout stoppé.» Plus généralement : «Je réponds aux questions même gênantes, je trouve cela trop fatigant d’avoir deux positions différentes selon les interlocuteurs.» En tout cas, et certains s’en souviennent, Costagliola est capable d’assassiner quelqu’un lors d’une réunion si elle estime que ses propos sont «nuls». Car nulle, elle ne l’est pas.

Son père était militaire. Enfant, elle habite à Viry-Châtillon «dans une cité que l’on trouvait très luxueuse car on avait une salle de bains». Après de bonnes études, elle entre dans une grande école d’ingénieurs télécoms mais s’y ennuie. «J’étais frappée par le fait que tous les étudiants, ayant intégré cette école, se disaient que c’était arrivé, et n’avaient plus aucun projet.» Ce n’est pas son cas. Elle découvre, en fin d’études, les liens entre statistiques et biologie.

Compétente, ensuite. Dominique Costagliola est une travailleuse acharnée. «J’aime les chiffres», avoue-t-elle comme d’autres évoqueraient une passion pour les tableaux. On sent qu’elle s’entend bien avec eux. Elle les comprend, les amadoue, les caresse. C’est ce qu’elle a toujours fait : s’appuyer sur la rigueur des données pour avancer. Et cela marche. A deux reprises, elle a touché le graal. Son premier fait d’armes a été de démontrer, dans les années 90, que la contamination mère-enfant dans le sida se produisait majoritairement lors de l’accouchement. «Plus des deux tiers des problèmes ont lieu à ce moment-là», dit-elle. «C’était une sacrée info, car cela conduisait à lancer des actions de prévention», lâche-t-elle, encore émue. Plus récemment, elle a coordonné le grand essai français sur la prophylaxie pré-exposition (Prep) pour montrer qu’un traitement antirétroviral pouvait éviter une contamination lors d’une relation à risque. «Son travail de chercheuse est colossal», lâche, impressionné, un haut responsable de l’Institut Pasteur.

Ces temps-ci, elle fait donc l’unanimité. Parfois, on se demande s’il n’y a pas un petit désir de réhabilitation chez cette chercheuse jusqu’alors mal connue du grand public. «Non, pas du tout, réagit-elle, je n’ai pas le sentiment d’avoir souffert d’être une femme.» Elle cite le prix de l’Inserm reçu en 2013 puis, le top du top, le Grand Prix toujours de l’Inserm, ce mois-ci, sans oublier sa nomination à l’Académie des sciences.

Pour le reste, il faut avancer à tâtons. Lorsque l’on évoque ses liens familiaux, elle répond : «J’ai poussé un peu loin l’indépendance ou l’autonomie.» Elle vit seule. Son appartement est rempli d’objets, souvent asiatiques. Elle adore le musée Guimet, rêve de retourner au Japon. «Je vis très bien seule», insiste-t-elle pour clore le sujet. Ses amis ? Ils viennent souvent du monde associatif de la galaxie sida, comme l’ex-président d’Aides Bruno Spire, ou l’ex-responsable du Sidaction, Eric Fleutelot, qui nous dit : «On s’amuse beaucoup avec elle, en plus, quand je ne comprends pas quelque chose, elle m’explique tout !» Bien sûr, ajoute-t-il, «on parle de nourriture».

Ah la nourriture… c’est l’autre élément clé. Elle adore se faire des petits plats. Quand on l’interroge sur son surpoids, elle raconte : «C’est venu quand j’ai fait des crises de rhumatisme à 5 ans. J’ai été couchée pendant des mois, c’est sûrement lié aux médicaments que j’ai pris alors. Puis après j’ai fait une primo-infection à la tuberculose.» Mais n’est-ce pas handicapant ? «Ce n’est pas facile pour s’habiller.» Rien d’autre. Pendant le confinement, en tout cas, elle a détaillé à satiété les bons repas qu’elle préparait. «Je suis capable de me déplacer pour trouver tel ou tel ingrédient. C’est un vrai plaisir.» Avec une prédilection pour les plats japonais.

Voilà. Dominique Costagliola est un personnage attachant. Pour la suivre depuis près de trente ans au gré des congrès ou conférences sur le sida, on l’a vue se forger une place à part dans ce milieu somme toute assez narcissique. Elle est devenue incontournable, rare épidémiologiste à travailler efficacement avec des médecins souvent plus rêveurs qu’elle. Elle est comme un roc. Ne semble pas douter. Est-ce pour cela qu’elle peut faire peur aussi ? «Elle est sans filtre», note un infectiologue ami. On l’a vue encore récemment, en pleine crise du Covid-19, claquer la porte lorsque l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) a voulu trop vite communiquer sur les résultats d’un antirétroviral contre le Covid-19. Agacée par cette com à outrance, elle a démissionné sur le champ du comité de suivi. Elle est, ainsi, sans regret. Néanmoins, elle n’a pas été nommée professeure. Jalousie ? Crainte de son fort caractère ? Lorsqu’on lui demande si elle n’a pas eu peur du Covid-19 pour sa santé, la réponse fuse. «C’est vrai que j’ai plein de facteurs de risque. Au début, j’ai paniqué, et puis je me suis dit que bon j’allais mourir du Covid. Et de me le dire, cela m’a détendue.»

Politiquement, elle est de gauche, syndiquée aussi. «Mais qu’est-ce que cela veut dire, être de gauche aujourd’hui ?» lâche-t-elle. Il est hors de question qu’on la reprenne néanmoins à voter pour l’actuel président. La suite ? Pas de surprise. Travailler et travailler encore. Elle sera à la retraite à l’été 2021, mais elle en a repris pour cinq ans en dirigeant une vaste recherche sur le Covid-19 au niveau européen. De quoi nourrir sans limite son appétit scientifique.


1954 Naissance à Asnières.
1982 Chercheuse à l’Inserm sur la santé et l’épidémiologie.
1986 Travaille à temps plein sur le sida.
2013 Prix Recherche de l’Inserm.
2017 Membre de l’Académie des sciences.
Décembre 2020 Grand Prix de l’Inserm.